Chapitre IX
Une à une, les amphores qui, selon le professeur Clairembart, contenaient le trésor funéraire, avaient été remontées. Penché sur la lisse, à bâbord, le vieux savant tentait de suivre la course de l’épaisse corde plongeant dans les flots et par laquelle, grâce au palan différentiel, le lourd sarcophage pourrait être à son tour tiré des profondeurs de la mer. Une impatience toujours plus grande gagnait Clairembart. Impatience de pouvoir, en présence de Morane et de Reeves, ouvrir les mystérieuses amphores et de mettre au jour leurs richesses ; impatience surtout de contempler enfin les restes de Nefraït, la Princesse Fantôme.
La mer s’était calmée et le soleil brillait haut, faisant scintiller vivement l’étendue marine. Pour Clairembart, au-delà de cette lumière vivante, il n’y avait qu’un brouillard verdâtre dans lequel la corde disparaissait. Pourtant, si le vieil archéologue avait un instant quitté cette corde des yeux et tourné la tête, il eut pu se rendre compte que la voile, aperçue par lui quelques jours plus tôt, grossissait rapidement et fonçait vers « La Belle Africaine » à la façon d’un faucon sur sa proie.
Du fond de l’eau, flottant au milieu des débris de la galère, Bob et Frank, eux aussi, suivaient des yeux la descente de la corde. Ils se sentaient impatients de remonter à la surface pour pouvoir également contempler les trésors arrachés par eux au grand oubli de l’océan.
Comme les deux plongeurs gardaient leurs regards tournés vers la surface, Reeves leva soudain la main et montra une grande ombre fuselée tournant autour de la corde. Le requin était là, à nouveau, ayant déjà oublié semblait-il, la piqûre infligée par l’Américain. Morane lança un regard inquiet à son ami, mais celui-ci secoua la tête, comme pour dire :
Nous ne devons rien craindre. Ce squale n’appartient pas à une espèce dangereuse…
En même temps, il montrait son couteau, signifiant ainsi qu’en cas de danger, ils possédaient de quoi se défendre.
« Pas dangereux, pas dangereux, songea Morane. Je me demande bien alors à quoi peut servir le dentier de ce requin-là…»
L’extrémité du câble arrivait à leur portée. Morane, qui avait déjà oublié le squale, sauta, à la façon d’un maître de ballet, et en saisit l’extrémité. Un dur labeur commença alors pour les deux hommes. À l’aide de leviers, il leur fallait soulever le volumineux sarcophage, heureusement allégé par l’immersion, l’arrimer en ayant soin de répartir judicieusement la charge. Creusant sous l’énorme cercueil de pierre, jouant du levier, ils réussirent finalement à mener à bien leur pénible entreprise. Essoufflés, ils s’entre-regardèrent alors et, à travers leurs hublots de plexiglas, ils échangèrent un grand sourire de satisfaction. Sur terre, ils ne seraient jamais parvenus à achever ce travail, mais, au fond de la mer, malgré la fatigue, tout semblait possible…
Du plat de la main, Frank frappa ses bouteilles. Ensuite, il montra les deux traînées de bulles d’air montant vers la surface, voulant rappeler ainsi qu’ils avaient consommé beaucoup d’air en travaillant et qu’il fallait songer à remonter. Aussitôt, il saisit l’extrémité du mince filin accompagnant la corde et tira sèchement. Ce filin actionnait une sonnerie qui, là-haut, sur le schooner, apprenait à Clairembart que le sarcophage était prêt à être ramené à l’air libre.
Tout autour du sarcophage, un nuage de vase remuée monta soudain, puis le sarcophage lui-même s’éleva, lentement d’abord, comme s’il s’arrachait avec peine à l’emprise des fonds sous-marins, puis plus vite… Morane et Reeves le regardaient monter avec satisfaction et espoir, car leur labeur prenait fin et, bientôt, ils recevraient la récompense de leur courage et de leur espoir…
Le sarcophage s’était élevé de cinq mètres environ lorsque, soudain quelque chose se passa. De tendue, la corde devint lâche et, dans un bouillonnement d’eau perturbée, la lourde masse retomba, pour se poser lourdement à l’endroit où elle reposait tout à l’heure.
Le silence des grands fonds interdisait à Bob et à Reeves d’exprimer leur stupéfaction. La corde avait été éprouvée avec des tractions bien supérieures à celle que pouvait lui faire subir le sarcophage, et son extrémité était solidement armée pour éviter qu’elle ne s’usât contre la pierre. Que se passait-il ? Morane se le demandait avec angoisse. Il leva la tête mais, là-bas, très haut, le grand voile brillant de la surface ne lui apprenait rien. Alors, Frank lui apparut crevant le nuage de vase soulevé par les remous. Il tenait un objet entre ses mains jointes, un objet ressemblant à un serpent mais dont Bob ne discerna pas tout d’abord la nature. Rapidement, pour percer l’écran de vase, Morane actionna la torche électrique étanche pendue à son poignet et éclaira les mains de son ami. Alors, il comprit : ce que tenait Frank, c’était l’extrémité de la corde, et cette corde offrait une section nette, sans bavures, comme celle laissée par un instrument tranchant.
Cette fois, la surprise la plus totale étreignait les deux hommes. La corde venait d’avoir été coupée volontairement. Mais par qui ? et pourquoi ? Ni Clairembart, ni Jérôme, ni aucun des matelots marseillais, soigneusement sélectionnés, ne pouvaient avoir commis un tel acte. Quelque chose se passait là-haut. Il leur fallait remonter au plus vite pour se rendre compte, voler au secours de leurs compagnons qui, peut-être, se trouvaient en danger.
D’un commun essor, Morane et Reeves s’élancèrent vers la surface. Morane montait « en catastrophe », sans prendre garde aux paliers de décompression, et Frank le saisissait par le pied pour lui rappeler cette indispensable précaution, lorsque là-bas, loin encore au-dessus de leurs têtes, deux formes crevèrent la surface et se mirent à descendre rapidement dans leur direction.
Tout de suite, Morane et son compagnon avaient reconnu des hommes. Ils étaient nus et leurs corps enduits de suif fendaient rapidement l’eau bleue. Leurs crânes rasés ne conservaient qu’une longue touffe de cheveux semblables au cimier d’un casque. Pour tout appareil de plongée, ils portaient seulement des lunettes étanches et, à leur poing droit, brillait une longue lame recourbée.
« Des plongeurs arabes, pensa Bob. Que viennent-ils faire ici ? et pourquoi nous en veulent-ils ? » Le Français connaissait de réputation ces intrépides pêcheurs de perles de la mer Rouge. Habitués à combattre les requins mangeurs d’hommes, ils professaient un mépris total de la mort et leur endurance de plongeurs égalait leur fanatisme.
Mais déjà il n’était plus temps de s’étonner, car les deux Arabes fonçaient sur Morane et Reeves et ceux-ci, malgré leur respect de la vie humaine, comprirent qu’il leur faudrait combattre pour sauver leurs existences.
D’un court battement de palmes, Bob évita de justesse le contact de son adversaire, et la terrible lame courbe érafla sa combinaison caoutchoutée. À son tour, Bob tira son poignard. Pourtant, il se rendit vite compte de l’inégalité de la lutte. Essoufflé par son travail de tout à l’heure, encombré par ses bouteilles l’empêchant de se mouvoir à son aise, il ne pourrait, pas plus que Frank, résister longtemps aux attaques des deux Arabes qui, rompus sans doute aux combats sous-marins, évoluaient avec l’aisance de marsouins. Même l’air en conserve dont la provision touchait d’ailleurs à sa fin, ne pouvait donner aux deux amis la certitude de vaincre.
Par trois fois, Morane réussit à parer les coups portés par son antagoniste. Lentement, il sentait ses forces l’abandonner et, sous son vêtement caoutchouté, la sueur lui baignait le corps. Peut-être ne parviendrait-il pas à résister à une nouvelle attaque…
L’Arabe revenait à présent à la charge. Son visage, vu à travers l’eau, semblait empreint d’une férocité inouïe. Dans sa main, le poignard faisait songer à une énorme dent meurtrière. Il allait frapper encore lorsque Morane, mû par une sorte d’inspiration providentielle, tendit soudain le bras gauche en avant. Il tenait sa torche électrique braquée et quand l’Arabe l’aborda, il pressa soudain le bouton de contact. Le cône de lumière frappa l’agresseur en plein visage et le força à fermer les yeux, ébloui. Aussitôt, Morane, profitant de cet avantage, portait un dur coup de poignard à son adversaire. Une sorte de nuage couleur d’encre voila le regard de Bob et, pantelant, le corps de l’Arabe se mit à flotter, inoffensif maintenant.
Sans prendre le temps de savourer sa victoire ni de regretter son acte meurtrier, Bob chercha Reeves des yeux. Celui-ci semblait sur le point de succomber sous l’étreinte du second plongeur qui, ayant perdu son arme au cours du combat, tentait maintenant d’étrangler l’Américain en lui enserrant le cou de son bras replié.
Avec une sourde angoisse, Morane se demanda pourquoi Frank ne réagissait pas, pourquoi il s’abandonnait ainsi à l’étreinte mortelle de son ennemi. Il connaissait la vigueur et le courage de son ami, et cette passivité l’étonnait.
Mû par une sorte de fureur brutale, Bob nagea vers le groupe enlacé et, quand il l’atteignit, il vit que Frank avait perdu connaissance. Ses yeux étaient clos et aucune bulle d’air ne s’échappait plus de son appareil respiratoire.
À l’approche de Morane, l’Arabe, désarmé, comprit sans doute que la lutte serait inégale, car il lâcha soudain Reeves et se mit à fuir vers la surface. Aveuglé par la colère, Bob se mit à le poursuivre, lorsqu’il songea à Frank qui, inanimé, privé d’air, devait descendre lentement vers le fond pour y achever de mourir. Alors, toute rancune quitta le cœur de Morane, et une seule pensée l’habita : sauver son ami, le ramener à l’air libre, le rendre à la vie s’il en était temps encore…
Il abandonna aussitôt la poursuite et regarda sous lui. Le corps de Frank descendait en tournoyant. Déjà, il n’était plus qu’à quelques mètres du fond. Et c’est alors qu’une grande ombre sortit du lointain bleuté, une forme effilée et rapide, à laquelle Bob donna aussitôt un nom. Le requin ! Excité sans doute par le sang, il nageait vers Reeves, et cette fois il ne possédait plus rien d’un animal inoffensif, car tout dans son attitude disait qu’il allait tuer.
D’un rapide coup d’œil, Bob apprécia la distance le séparant de son ami. « Si je pouvais l’atteindre avant le requin… Si je pouvais…» Tous les nerfs tendus, les doigts crispés douloureusement sur le manche du poignard, il fila vers le fond, tandis que le requin grandissait, grandissait… À ce moment, Bob se rendit compte combien il était énorme, mais il se sentait néanmoins décidé à le combattre pour sauver son ami et cela même s’il devait y laisser sa propre vie.
Homme et requin atteignirent Reeves presque ensemble, à un mètre à peine du fond. D’un coup de pied, Morane repoussa le corps pantelant de Frank contre le rocher. Le squale arrivait sur lui avec la vitesse d’une torpille. Bob l’évita d’un retrait du corps et, de toutes ses forces, darda sa lame vers le ventre blanc de l’animal. Il y eut un choc brutal puis comme un long déchirement. Le requin continuait à nager et, pourtant, Morane sentait toujours le poids de l’énorme corps au bout de son bras aux muscles noués par l’effort. Emporté par sa propre vitesse, l’animal s’était éventré lui-même…
Agité par les soubresauts de l’agonie, le requin retournait maintenant aux profondeurs de la nuit sous-marine. Sans plus se soucier de lui, Bob revint vers Frank, toujours inanimé, et inspecta rapidement son appareil respiratoire. Celui-ci paraissait intact. Pendant son combat contre le plongeur arabe, l’Américain n’avait pu ouvrir sa réserve et, l’air lui manquant, il avait perdu connaissance. Vivement, Bob ouvrit le robinet placé contre la hanche de son compagnon et, aussitôt, des bulles d’air s’échappèrent à nouveau de l’appareil.
Une seule pensée occupait Morane à présent : remonter. Exténué lui-même, il allait devoir porter le corps inanimé de Reeves vers la surface. Un long calvaire, presque une agonie, commença alors pour Morane. Entre ses bras Frank était un poids mort qu’il lui fallait soustraire à l’attraction des profondeurs. En outre il devait respecter les paliers de décompression et l’angoisse de devoir attendre immobile, sans savoir ce qui se passait à la surface, était encore plus épuisante que la montée elle-même. Au troisième palier, l’air lui manqua à son tour, et il dut ouvrir le robinet de sa réserve. Petit à petit, ce qui lui restait de force l’abandonnait. Les secondes s’étiraient douloureusement et Bob vit le moment où lui aussi allait perdre connaissance. Avec Frank, il plongerait alors à jamais au fond de ces abîmes marins qu’ils venaient de violer.
Nul ne sait cependant jusqu’où peut aller l’énergie d’un homme acharné à sauvegarder sa vie. Bob savait qu’au-delà du miroir brillant de la surface c’était le salut pour lui et Frank. Les images dansaient devant ses yeux et ce fut seulement à travers une sorte de brouillard qu’il aperçut, tout près, la coque du schooner. Convulsivement, il agrippa la chaîne d’une des ancres et, faisant appel à ce qui lui restait de force, il se hissa vers l’air libre.
Quand il y parvint, il commença par arracher l’embout d’entre les mâchoires contractées de son ami de façon à lui permettre d’aspirer l’air vivifiant du large. Alors, crachant à son tour l’embouchure de son appareil respiratoire il se mit à hurler d’une voix désespérée :
— Professeur !… Professeur !…
Il était sur le point de perdre connaissance quand il sentit que le corps de Frank lui était arraché. Presque aussitôt des mains le saisirent et le hissèrent à bord. Les yeux fermés, il devina qu’après l’avoir dépouillé de son appareil respiratoire, on l’étendait sur le pont, où il resta prisonnier d’une fatigue profonde comme la mort.
Quand Morane ouvrit les yeux, il vit aussitôt un visage connu penché sur lui. Pourtant, ce n’était pas celui du professeur Clairembart.
— Content de vous revoir, commandant Morane, dit l’homme d’une voix narquoise. Nous nous retrouvons en de bien pénibles circonstances, me semble-t-il…
Morane ne réagit pas. Il était trop épuisé pour s’étonner de la présence de Leonide Scapalensi à bord de « La Belle Africaine ».
— Vous avez eu tort de m’éconduire ce jour-là, quand je suis venu frapper à votre porte, continuait le pseudo-collectionneur. Quelques jours plus tôt déjà, deux amis à moi avaient tenté de vous faire entendre raison, mais vous avez répondu à la force par la force. J’ai alors tenté de vous convaincre plus pacifiquement, mais en vain. Vous avez eu tort de ne pas m’écouter, commandant. Vraiment vous avez eu tort…
Sans répondre, Morane tourna la tête vers Reeves, étendu à ses côtés. Les yeux de l’Américain demeuraient clos, mais sa poitrine se soulevait à rythme régulier. Bob s’aperçut alors qu’un gros cotre était amarré à tribord, tout contre le bordage de « La Belle Africaine ».
Rassuré à présent sur le sort de Frank, Morane se tourna vers Scapalensi et lui désignant le cotre du doigt, demanda :
— Vous nous suiviez depuis Marseille, n’est-ce pas ?
Le diamantaire acquiesça.
— Je ne connaissais pas l’emplacement exact de l’épave, dit-il, et j’espérais que vous m’y conduiriez. Comme vous le voyez, mes espoirs n’ont pas été déçus.
Scapalensi s’était un peu reculé et, par-dessus son épaule, Bob aperçut six individus aux faces patibulaires. Dans deux d’entre eux, il reconnut les hommes qui, le jour de la vente à l’Hôtel Drouot, l’avaient assailli, lui et Frank, dans la cour du Louvre. Ainsi le rouquin et son complice étaient bien des hommes de Scapalensi. Un troisième personnage se révéla être le plongeur arabe qui, tout à l’heure, à l’issue du combat sous-marin, avait échappé à Morane. Il ne devait pas avoir oublié sa défaite, car sa main tourmentait nerveusement le manche du long poignard courbe passé dans sa ceinture, tandis que ses regards féroces, rivés sur Morane et Reeves, en disaient assez long sur ses intentions meurtrières.
Sans s’émouvoir outre mesure de la menace, Bob interrogea à nouveau Scapalensi.
— Pourquoi vouliez-vous à tout prix connaître l’emplacement de la galère ? demanda-t-il. Seriez-vous également collectionneur d’antiquités égyptiennes ?
Scapalensi sourit et ce sourire releva bizarrement les pointes de sa fine moustache soigneusement calamistrée.
— Je ne collectionne rien du tout, même pas les tableaux comme j’ai voulu vous le faire croire, commandant Morane, mais j’aime l’or. Depuis que, pendant la guerre, en Italie, j’ai découvert, dans une villa abandonnée, non loin de Rome, le manuscrit des mémoires de Fosco Pondinas, je n’ai plus eu qu’une idée : retrouver le tableau pour, grâce au plan, pouvoir parvenir à la galère et m’approprier les trésors funéraires de la princesse Nefraït.
L’aventurier se retourna et désigna les amphores, tirées des profondeurs de la mer par Morane et Reeves et alignées à présent sur le pont.
— Vous avez eu l’amabilité de faire le travail à notre place, continua-t-il. Le trésor est là et il ne me reste plus qu’à le prendre…
— Qui vous dit qu’il s’agit là d’un trésor, remarqua Morane. Ces amphores sont peut-être vides…
D’un coup d’œil, il s’était rendu compte que tous les bouchons étaient intacts. Peut-être lui restait-il une chance de gagner du temps et d’abuser Scapalensi, mais ce fut en vain. Le diamantaire secouait la tête.
— Le trésor est là, répéta-t-il, et vous le savez bien. Dans le cas contraire, pourquoi auriez-vous perdu votre temps à remonter ces amphores ? On en pêche chaque jour de semblables au large des côtes du Midi de la France et elles n’offrent plus une réelle valeur au point de vue archéologique.
Bob ne répondit rien. Il savait la partie perdue et, en outre, l’absence de Clairembart, de Jérôme et des matelots marseillais commençait à l’inquiétez sérieusement. Il regarda partout autour de lui, mais sans parvenir à découvrir traces d’eux.
— Vous cherchez sans doute vos amis, dit Scapalensi. Rassurez-vous. J’aurais pu les tuer, mais je ne l’ai pas fait. Je ne suis pas un criminel.
Morane ricana.
— Les deux plongeurs que vous nous avez envoyés au fond de l’eau étaient sans doute là simplement pour le plaisir. Leurs poignards étaient de simples garnitures.
— Vous vous méprenez, commandant. Lorsque nous avons abordé votre bateau et réduit son équipage à l’impuissance, le professeur Clairembart a cependant eu le temps de couper la corde du palan d’un coup de hache. Celui-ci remontait quelque chose. J’ai voulu savoir quoi. Alors, j’ai envoyé Mohamed et Ali. Ils vous ont rencontrés sur leur route et n’ont pu s’empêcher de jouer du couteau.
— Malheureusement pour eux, fit Bob.
— Malheureusement pour Ali tout au moins, corrigea Scapalensi d’une voix faussement contrite, mais son frère Mohamed est prêt à le venger. Ne l’oubliez surtout pas, commandant Morane…
— Merci de l’avertissement, dit Bob avec un sourire courtois.
Lentement, il reprenait des forces. Pourtant, il savait ne pouvoir lutter victorieusement contre le groupe des pirates. Son attirail de plongeur l’encombrait et, de toute façon, il ne tarderait pas à succomber sous le nombre.
Morane commença à se débarrasser de ses palmes et de sa ceinture lestée de plomb. Ensuite, il fit de même pour Frank. Il opérait de façon toute naturelle, sans hâte, pour ne pas donner l’éveil à Scapalensi qui, sûr de sa supériorité, le laissait agir. Il avait la situation en main et, encombré ou non par son équipement, Morane ne pourrait rien contre lui.
Tout en prenant soin de Reeves, Bob se demandait comment il réussirait à sortir de cette situation critique, mais aucune solution raisonnable ne lui venait à l’esprit. Il se sentait pris comme dans une souricière. À ce moment, Frank ouvrit les yeux. Aussitôt, il demanda :
— Que se passe-t-il ? Qui sont ces gens ?…
Morane se tourna vers le diamantaire.
— Je te présente monsieur Scapalensi, dit-il à Reeves. C’est lui qui, tout à l’heure, nous a envoyé ces deux charmants gardons si habiles à jouer du couteau…
Tout en parlant, Bob avait remarqué que Scapalensi portait un pistolet automatique passé dans une gaine, à sa ceinture. Si Morane réussissait à s’emparer de l’arme, peut-être parviendrait-il à retourner la situation en sa faveur. Lentement, il se mit à retirer sa combinaison caoutchoutée et, d’un geste soudain, lança le lourd vêtement au visage du diamantaire. Il allait se jeter sur celui-ci pour tenter de saisir l’automatique, quand la voix de Reeves lui parvint :
— Prends garde, Bob !…
Morane eut juste le temps de se baisser pour éviter le poignard lancé d’une main experte par Mohamed. Déjà, l’occasion était perdue et il n’était plus temps de passer à l’attaque. Scapalensi s’était dépêtré de la combinaison caoutchoutée et avait tiré son arme, qu’il braquait en direction de Morane et de son compagnon. Sur son visage, aucune colère ne se lisait, mais seulement une expression de triomphe.
— La chance vous abandonne définitivement, commandant Morane. Il y a quelques secondes, vous gardiez encore un atout en réserve. À présent, j’ai toutes les cartes en main.
— Vous allez nous tuer, sans doute, fit Morane d’une voix méprisante. Nous ne devons rien attendre d’autre d’un gredin de votre espèce…
Scapalensi secoua la tête.
— Je suis peut-être un gredin, comme vous dites avec tant d’élégance, mais je ne vous tuerai pas. Du moins, pas encore… Vos compagnons sont enfermés, ligotés, dans la cabine. Vous allez aller les rejoindre…
L’aventurier fit un signe et, tous ensemble, ses six complices se jetèrent sur Bob et Frank. Ceux-ci tentèrent bien de se défendre mais, exténués, croulant sous le nombre, ils comprirent vite l’inutilité de toute résistance. La rage au cœur, ils se laissèrent donc lier mains et pieds et entraîner dans profondeurs du schooner.
Dans la cabine, le professeur Clairembart, Jérôme et les trois matelots marseillais étaient étendus sur le plancher. Leurs vêtements étaient déchirés mais, à part cela, ils ne paraissaient pas avoir trop souffert.
— Ils vous ont eus, vous aussi, fit Clairembart lorsque Morane et Reeves eurent été étendus à leur tour sur le plancher. Je me suis laissé avoir comme un enfant. Ces serpents sont montés à l’abordage sans crier gare. Ils étaient armés jusqu’aux dents et nous n’avons pu leur résister. Heureusement, avant qu’ils ne s’emparent de ma personne, j’ai eu le temps de couper la corde du palan d’un coup de hache. De cette façon, ces bandits n’auront pas la dépouille de la princesse Nefraït.
— Ils doivent s’en moquer pas mal, de la princesse Nefraït, fit remarquer Morane. Ils ont le trésor, et cela seul leur importe. Sans doute sont-ils déjà occupés à déboucher les amphores.
Bob ne se trompait pas. À cet instant précis, sur le pont, Scapalensi, tirant de sa poche un couteau automatique, l’ouvrait d’une pression de pouce et, s’approchant d’un des grands vases d’argile, commençait à entamer le bouchon de glaise en s’écriant :
— À nous les joyaux de la vieille Égypte !